Qu’elles sont fascinantes, ces pyramides millénaires d’Égypte, dont l’attrait
touristique et les mystères restent toujours vivaces ; que dire aussi des
oeuvres comme la Grande Muraille de Chine, Petra la cité nabatéenne en
Jordanie, le Taj Mahal en Inde, dont certaines font partie des 7 merveilles du
monde. Il y a aussi ces mosquées et d’autres maisons artistiquement
construites en banco que l’on retrouve à cotés de nous, ou encore la Sear
Tower de Chicago, la Burj de Dubaï. Autant d’infrastructures qui donnent à
réfléchir sur la place de l’architecture parmi les arts majeurs, mais aussi son
statut « d’art utile et social »…Dans cet entretien
avec MediaCulture.info l’architecte Mansour Adji, secrétaire général de
l’Ordre des architectes du Niger et Président Directeur Général du Cabinet
AMAA architecture, répond magistralement à des questions en lien avec le
premier des arts majeurs. Âgé aujourd’hui de 32 ans, Mansour Adji est
titulaire d’un diplôme d’État d’architecte obtenu en 2011 à l’École Nationale
Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand(France), après un cycle de
licence et de Master (ville et territoire durable). Durant sa formation il
s’intéresse à l’architecture et aux techniques constructives bioclimatiques
notamment à l’architecture en terre et se met en rapport avec le Centre de
recherche et d’application en terre de Grenoble. Mansour Adji exerce ensuite
en tant que chef de projet dans le cabinet ADM Concept à Clermont-Ferrand
et réalise en parallèle une habilitation à la maitre d’oeuvre en nom propre,
obtenue en 2014. Rentré au Niger en 2014, le jeune architecte crée l’agence
d’architecture AMAA et exerce désormais sa profession dans son pays,
travaillant sur de nombreux projets avec des structures publiques et
privées. Suivez le plutôt…
MediaCulture.info : Qu’est ce qui vaut à l’architecture la première place dans la
classification des arts majeurs ?
Mansour Adji : L’architecture, dans son expression classique exprime l’art de
concevoir des bâtiments qui seront habités par l’homme selon des principes
d’organisation, d’esthétique et de réglementation technique et scientifique
particuliers à chaque époque.
Pour rappel, parmi les 10 arts majeurs il y a : le 1er art, l’architecture ; le 2ème, la
sculpture ; le 3ème , les « arts visuels » ; le 4ème , la musique; le 5ème, la littérature; le
6ème, les « arts de la scène »; le 7ème, le cinéma ; le 8ème, les « arts médiatiques » ; le
9ème, la bande dessinée, le manga et le comics et le 10èmeart qui est celui du jeu
vidéo et du multimédia.
De tous ces 10 arts, l’architecture a la particularité d’être conçue pour accueillir
l’homme dont elle constitue l’abri protecteur depuis la nuit des temps. La
construction protège des rudesses de l’environnement et crée un cadre d’existence
qui permet à l’homme de vivre protégé des intempéries. De ce fait l’architecture
par son caractère particulier à l’homme, ajoute à la construction une dimension
culturelle indissociable de la civilisation humaine.
L’architecture est un art indispensable à la vie humaine, à son activité, à son
développement lié aux fonctions principales que sont le fait de travailler,de se
divertir, de se loger. Aucune activité économique ne peut se faire sans une
construction pour l’accueillir. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on dit que
lorsque le bâtiment va tout va.
En effet toutes les activités humaines sont liées à la construction et ont lieu dans
un type de bâtiment : si vous faites de l’agriculture ou de l’élevage vous avez besoin
d’une ferme ; si vous faites du commerce vous aurez besoin d’un hangar pour
stocker vos produits et d’un magasin pour les vendre ; si vous fournissez des
services vous avez besoin d’un bureau ; l’éducation a besoin d’écoles, la santé
d’hôpitaux, la culture et l’histoire de musée ou de centres culturels etc… Enfin, tous
les êtres humains ont besoin de se loger. Le fait d’avoir une demeure et son niveau
de standing distingue socialement les êtres humains et crée parfois une exclusion
pour ceux qui n’ont pas de lieu où habiter, qui deviennent des sans abris délaissés
de la société.
L’architecture est le premier des arts car elle est un art « indispensable ». Pour les
autres arts, certains sont apparus dans les siècles récents donc ont accompagné
certaines générations d’hommes mais pas toute l’humanité.
L’architecture contient les autres arts, elle est le sujet de tous les arts ; vous voyez
des constructions dans le cinéma, le théâtre, la peinture, la sculpture, les jeux
vidéo, la bande dessinée, les jeux vidéo ; elle est suggérée à l’imaginaire dans la
littérature etc…
MediaCulture.info : Doit-on alors appeler artiste, l’architecte, ou plutôt voir en lui
un technicien et scientifique puisqu’il fait recours dans sa démarche à des théories,
des calculs ?
Mansour Adji : L’architecture est une discipline qui appelle à la maitrise d’un
certain nombre de savoirs culturels, philosophiques, sociologiques, techniques,
réglementaires, mathématiques et scientifiques. L’architecte au cours de sa
formation universitaire et de son parcours professionnel s’inspire de toutes ces
connaissances pour se construire en tant que concepteur imaginateur.
Grace à cette matière intellectuelle il produit une oeuvre culturelle issue d’un
environnement géographique et de ses références formelles, organisationnelles et
expressives ; en ce sens l’architecte est semblable à un artiste.
Cependant la composante artistique dépend du choix et des orientations de
l’architecte, qui peut privilégier l’aspect technique et scientifique par rapport à
l’aspect artistique dans son oeuvre. Pour réaliser son oeuvre, l’architecte a besoin
de la science et de la technique pour faire tenir le bâtiment solidement, pour
l’éclairer, le climatiser, l’alimenter en eau et le rendre fonctionnel, etc…Je dirai que
art et technique scientifique sont liés de même qu’architecture et technique
scientifique sont liées.
Si je me réfère à la sculpture, les évolutions technologiques ont permis de faire
évoluer les formes que l’on peut réaliser entre les sculptures du moyen âge , et
celles de César, oude Jeff Koons par exemple. De l’outil du marteau et du burin
pour tailler la pierre, on utilise aujourd’hui les matériaux plastiques et
l’imprimante 3D.
Il n’y a pas d’art sans science, l’architecte est donc artiste et scientifique. Pour
définir le lien entre l’architecture et l’art on dit souvent que «l’Architecture est une
Sculpture Habitée ».
Ainsi cette idée rapproche l’architecture de l’art. Néanmoins l’architecture est audessus
de l’art ; car l’architecture intègre la dimension primordiale de l’homme
dont toutes les expériences sensibles partent.
MediaCulture.info : Serait-il peut être plus approprié de dire que l’architecture est
un art-utile comme le pense le célèbre architecte français Jean Nouvel ?
Mansour Adji : L’architecture accompagne les hommes tout au long de leur vie car
à toutes les étapes de notre vie nous sommes accueillis dans les bâtiments et nous
ne pouvons pas vivre sans ces constructions qui nous entourent et forment les
grandes métropoles, les villages que nous habitons. L’architecture structure notre
environnement et nos paysages.
Lorsqu’elles sont bien construites, harmonieuses et parfois écologiques les
constructions créent une ambiance et un sentiment d’appartenance lié à la qualité
symbolique de l’architecture capable de donner une attractivité à la ville.
Je pense aux Pyramides et temples d’Égypte qui ont depuis longtemps un fort
attrait touristique et créent un imaginaire fort ; à la muraille de Chine parmi les 7
merveilles du monde, aux temples d’Angkor Vat dans les jungles du Cambodge, ou
plus récemment à la Sear Tower de Chicago ou à la Burj Dubaï.Toutes ces
constructions sont des icônes qui transcendent la simple construction, en ce sens
elles marquent un progrès de la civilisation par la performance technique,
artisttique et volontariste qu’elles représentent.
Ainsi l’architecture est indispensable à titre individuel à tous les hommes passés,
présents et futurs et à titre collectif elle est indispensable au développement des
civilisations. J’ai coutume de dire souvent aux étudiants et jeunes que je forme
dans le domaine de la construction, que ce qu’il reste d’une civilisation quand elle
disparait et qui nous permet de mesurer le savoir des peuples, leurs arts, leurs
degrés scientifiques, leurs coutumes, leurs pratiques culinaires, au travers des
archéologues, c’est l’architecture qui perdure au travers des siècles comme
héritage. Tout geste architectural laisse des traces et il est donc éminemment
important de se poser la question du message que l’oeuvre va laisser.
Si l’architecture de la civilisation passée ou présente est développée, le peuple en
lui-même sera considéré comme développé et en avance sur son temps. Dans le cas
contraire on peut parler de culture « marginale », « arriérée » ou « sous
développée ».
Il est donc primordial pour l’homme de faire de l’architecture le vecteur de son
émancipation et de sa croisée vers le progrès, affirmation d’une existence humaine
meilleure selon les aspirations de l’époque. En ce sens comme le dit notre confrère
Jean Nouvel, l’architecture est un art utile, je dirais même indispensable. Il est au
fondement de la vie, car ne dit on pas que le Créateur est l’architecte de l’Univers.
MediaCulture.info : Si l’architecture est définie aussi comme « une expression de la
culture », dans quelle mesure peut-on parler d’une architecture nigérienne ?
Mansour Adji : Le thème de l’Architecture Nigérienne comme de l’architecture
Africaine ou contextuelle est un des sujets qui traversent l’histoire de l’architecture
particulièrement à notre époque.
Il n’y avait pas cette interrogation sur la culture locale quand il n’y avait pas
globalisation et principe d’universalisme et de brassage des cultures.
Les cultures étaient il y a 6 ou 7 siècles moins interdépendantes et moins sous
influence mutuelles. Dans notre monde actuel il y a une culture dominante qui tend
à s’imposer et véhicule un fort schéma de valeurs culturelles, sociologiques,
idéologiques, politiques, historiques, économiques, scientifiques de nature à faire
disparaitre les autres cultures plus locales, plus contextuelles. Ce phénomène
s’impose aussi à l’architecture qui est la photographie des bouleversements et de la
dialectique de la société à un moment donné.
L’architecture nigérienne n’échappe pas à cette problématique. Si on peut parler
d’architecture nigérienne traditionnelle, la première architecture nigérienne dont
les expressions les plus magnifiques sont symbolisées par des oeuvres connues
internationalement comme la Mosquée d’Agadez, le bâtiment du Sultanat de
Zinder, la Mosquée Yama de Tahoua, on peut s’interroger sur la véritable
émergence d’une architecture contemporaine nigérienne.
Et, là en tant qu’architecte Nigérien et secrétaire général de l’ordre des
architectes du Niger, je me sens interpellé ainsi que l’ensemble de mes
confrères sur la question de l’appropriation de notre patrimoine culturel. En
traduisant l’ancien de manière subtile dans le contemporain et en ne copiant
pas le passé mais en produisant une expression nouvelle basée sur les atouts
de la culture nigérienne et de son architecture traditionnelle.
Je pense à l’intégration dans l’environnement et dans le climat, à la réduction de la
consommation d’énergie dans les bâtiments au travers d’une architecture
bioclimatique, à l’utilisation de matériaux locaux, à l’intégration des motifs de la
symbolique de nos différentes régions dans l’expression interne et externe des
bâtiments, à l’appropriation des systèmes spatiaux anciens.
Ce travail de réappropriation culturelle est en cours chez de nombreux architectes
; je pense aux approches de nombreux cabinets nigériens qui travaillent sur
l’utilisation de techniques de construction en terre modernisées mais également à
l’expression des formes traditionnelles dans l’architecture dont de nombreuses
expressions sont visibles au travers de la production de bâtiment par les
architectes nigériens lors des fêtes tournantes du 18 Décembre chaque année. Ce
développement de l’architecture nigérienne est en cours et prend une ampleur
plus forte de jours en jours.
Pour répondre pleinement à votre question, et en vue de définir une
réappropriation culturelle de l’architecture patrimoniale nigérienne, on peut partir
de ce qu’il y a de spécifique dans l’expression de l’architecture traditionnelle pour
la moderniser en utilisant les principes de l’architecture contemporaine. Il s’agit
d’aller du particulier au général.
On peut aussi considérer que l’architecture internationale telle qu’elle a été pensée
depuis le 20èmesiècle a puisé ses sources dans toutes les cultures et que ces
principes sont universels. De ce fait la culture traditionnelle dont celle du Niger
peut s’y greffer comme un élément qui va s’accrocher, pareille à un vêtement sur
un corps. En ce sens l’interprétation moderne de l’architecture traditionnelle est
une deuxième forme d’architecture nigérienne.
MediaCulture.info: À travers quels genres d’ouvrages peut-on illustrer
l’architecture nigérienne?
Mansour Adji : Lorsque je suis amené à penser l’architecture Nigérienne et à
développer des conceptions, j’utilise beaucoup les ouvrages d’artisanat nigérien.
C’est au travers de l’artisanat que l’on trouve une symbolique totalement unique à
notre pays et à notre culture. C’est d’ailleurs l’approche qui a été développée pour
de grands projets majeurs auxquels j’ai pu collaborer comme le Centre
international de conférence Mahatma Gandhi qui intègre sur sa façade les motifs
de l’architecture en terre de Zinder, ou encore les formes ovoïdes des salines de
TeguiddanTessoum près de Bilma dans la région d’Agadez inscrites au niveau de la
salle présidentielle en forme de calebasse nigérienne.
MediaCulture.info : À en juger par leurs coûts, on peut dire que les prestations de
l’architecte ne sont pas à la portée du citoyen lambda pour lequel elles relèveraient
du luxe; qu’en pensez-vous?
Mansour Adji : Construire est un investissement et souvent l’investissement de
toute une vie. Bien évidement tout investissement doit répondre au principe de
l’évaluation du cout et du bénéfice. Le cout de la prestation d’un architecte doit
s’évaluer sous cet angle.
Il y a un proverbe qui dit que : « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher essayez
l’ignorance » Robert Orben. On se rendra compte que le manque d’éducation coûte
plus cher à la société que le cout de l’éducation. Aussi si l’on pense que les services
des architectes coûtent chers, alors regardez les dégâts entrainés par le fait de
construire sans un architecte.
Nous voyons des milliers de cas de constructions mal conçues et mal réalisées qui
détériorent le paysage de nos villes et de nos campagnes. La mauvaise exécution de
ces ouvrages due le plus souvent au non recours à l’architecte est un véritable
problème de sécurité publique notamment lorsque ces constructions menacent les
vies humaines et s’effondrent. Des matériaux polluants y sont utilisés notamment
dans les espaces intérieurs ce qui est un véritable danger pour les habitants en
particulier les enfants.
Ces constructions ne respectent aucune norme et sont un danger pour leurs
habitants mais également pour les tiers qui peuvent s’en approcher. Beaucoup de
personnes insatisfaites appellent les architectes nigériens pour corriger des
erreurs sur leurs chantiers. Le plus souvent après avoir conçu leur projet avec des
usurpateurs du titre d’architecte, les « Faux-architectes » (maçons, techniciens en
bâtiment,architectes non agréés, apprentis ) dont le travail les a déçus.
Les constructions sans architectes ne traduisent ni l’expression de notre culture ni
une forme de recherche formelle basée sur des influences internationales. Pour
moi les constructions réalisées sans architecte de conception et de suivi sont un
gaspillage financier irrémédiable.
En plus du fait que c’est « tendance »de faire appel à un architecte car vous aurez
un ouvrage qui traduit votre sensibilité à la culture mais aussi vos valeurs et
aspirations reflétées dans votre bâtiment. Vous aurez entre autres pour exemple
une Maison d’Architecte novatrice et agréable à vivre, bien éclairée, bien ventilée,
élégante de l’extérieur, bien décorée, consommant moins d’énergie, isolée des
infiltrations d’eau de pluie, construite avec solidité et des matériaux durables.
En outre utiliser un architecte c’est respecter la loi, car la loi sur l’architecture dans
son décret N° 98-94 /PRN/ME/I/ du 6 Avril 1998, Code des devoir professionnels
des architectes stipule en son TITRE I• DE L’INTERVENTION DES
ARCHITECTES ; Art. 3 – Les autorités habilitées à délivrer les autorisations de
construire s’assurent au cours de l’instruction des demandes, que la mission
assignée à l’architecte a été respectée. Les maîtres d’ouvrages sont tenus de
recourir aux architectes pour toute construction ou modification de bâtiment
répondant à l’un des critères suivants :
– immeubles ou ensemble d’immeubles dont la surface totale de plancher est
supérieure ou égale à 100 m2;
– immeubles ou ensemble d’immeubles dont le coût total estimé est supérieur ou
égal à vingt millions (20. 000. 000 FCFA).
De ce fait pour obtenir un permis de construire et démarrer vos chantiers en
respectant les règles vous devez faire appel à un architecte agrée d’autant plus que
le contrôle sur les chantiers non autorisés va se renforcer avec l’action conjointe
du Ministère des domaines de l’urbanisme et du logement, de la ville de Niamey et
de l’Ordre National des architectes du Niger.
Le contrôle sur les constructions deviendra plus strict à l’avenir et l’aspiration des
nigériens à améliorer leurs conditions de vie et d’habitat fait converger
inévitablement leurs besoins nouveaux dans les constructions vers une
sollicitation systématique des architectes. Cela, pour construire bien et éviter des
couts additionnels de reprises, de correction, de pertes et gaspillage qui cumulés
dépassent largement les honoraires raisonnables des architectes au Niger.
Il y a aujourd’hui plus de 130 architectes inscrits à l’ordre des architectes, il faut s’
approcher d’eux, prendre contact ; vous trouverez à coup sûr une entente
financière et ne serez pas déçus pour vos projets. Les architectes nigériens sont
serviables.
Entretien réalisé par MediaCulture.info